Pour un peu de tendresse

Publié le par levoyagedelu

En 2011, 1995 enfants sont arrivés en France dans le cadre d'une adoption internationale, et l'adoption nationale ne concerne qu'environ 700 enfants chaque année. Le nombre d'enfants adoptés à l'étranger diminue chaque année, notamment du aux régulations de plus en plus difficiles des pays, ou à la fermeture de certains, comme le Vietnam ou la Chine, qui ne laissent plus partir leurs enfants.

D'un certain côté, on doit certainement se réjouir de cet encadrement de plus en plus serré, de règles contraignantes mais qui visent d'abord à protéger les enfants et à privilégier les adoptions internes, certainement plus favorables pour l'enfant.

Mais le débat reste toujours orphelinat-SL-0750.JPGenflammé, et à tous ceux qui opposent à l'adoption internationale le fait qu'il s'agit d'un déracinement pour l'enfant et une perte de ses repères, je voudrai leur dire d'aller dans un orphelinat, leur demander s'ils ont déjà croisé le regard d'un enfant qui n'a pas reçu de tendresse depuis des années, qui s'endort chaque soir sans une voix pour le bercer, qui se réveille en pleine nuit et n'a pas une main pour le rassurer et le rendormir, ni un regard ou des bras le matin. Et si alors, en regardant cet enfant, ils pensent toujours la même chose.

Pour ma part, je crois que les enfants dont je me suis occupée au Sri Lanka préfèreraient être sur la Lune mais dans des bras aimants que dans leur pays dans ces conditions.

Chaque matin pendant deux semaines, je travaillais dans un orphelinat à Galle, dans le sud du Sri Lanka. Il y a une soixantaine d'enfants dans l'orphelinat en tout, mais je ne m'occupais que des moins de 2 ans, ils sont une trentaine. Dans cette section, seulement 3 femmes, mal payées et exténuées, travaillent. Toute la journée, elles nourissent, font boire, changent, lavent, puis redonnent à manger... Bien sur il n'y pas de temps pour donner l'affection dont ces petits êtres en construction ont besoin. C'est donc principalement notre rôle, nous toutes, une 10ne de volontaire, de donner par intermittence un peu de la chaleur nécessaire à ces bébés. C'est de loin la chose la plus difficile que je n'ai jamais faite. J'ai vu des enfants pauvres, qui manquent de nourriture, d'hygiène, d'éducation, mais ce n'est rien comparé à un enfant qui manque d'amour. orphelinat-SL-0412.JPGChaque matin quand nous arrivons, c'est 60 bras qui se tendent vers nous et autant d'yeux nous suppliant de les prendre dans les bras. Alors il faut en choisir un, et faire un heureux pour plusieurs qui ne comprennent pas pourquoi pas eux.. En général, on s'asseoit par terre et il suffit qu'on soit là, et qu'ils puissent nous toucher, c'est tout ce qu'ils demandent, ils n'ont même pas envie de jouer, juste d'avoir un contact physique. Je me souviens d'une petite fille qui était assise à côté de moi. Je lui ai caressé la joue, elle a pris ma main, l'a regardée comme quelque chose d'inconnu pour elle, puis la reposait sur sa joue, comme une nouvelle expérience sensorielle agréable.

La plupart de ces enfants ne sont pas adoptables, bien qu'ils n'aient pas revu leurs parents depuis la naissance, si ces derniers n'ont pas déclaré l'enfant abandonné, les enfants sont coincés ici. Le petit garçon de la photo ci-dessus est arrivé lors de mon 2ème jour. Il a déjà environ 18 mois, sa mère est très jeune, et l'a placé ici parce que son mari est decédé, car elle n'arrive pas à s'en occuper seule. Les 3 premiers jours, il est resté assis sur une chaise, en retrait, et ne sorphelinat-SL-0766.JPGupportait pas qu'on l'approche. Quand on pouvait aller dehors, il se postait devant le portail duquel on voit la route et regardait au loin.. Petit à petit il a eu l'air de se faire a la routine de l'orphelinat, et au bout de quelques jours, comme s'il comprenait qu'il n'y aurait que nous maintenant, il s'est laissé prendre dans les bras, puis avait même besoin de nous. Presque 10 jours après, alors qu'il jouait avec l'une des volontaires, quelqu'un est venu nous dire que sa maman était là. Alors que l'on s'attendait toutes à le voir courrir vers elle, il se cachait derrière nous, comme s'il se protégeait. Il est resté deux heures avec elle, alors qu'elle essayait de le serrer dans ses bras, de jouer avec lui, il fuyait son regard et avait l'air complètement perdu. Elle nous a dit qu'elle essaierait de venir toutes les semaines lui rendre visite. Quelle tristesse pour cette si jeune femme, qui a déjà du faire la chose la plus difficile au monde pour une maman, et qui maintenant va voir chaque semaine son petit garçon désorienté. Quel malheur et quel avenir aussi pour lui, comment se construire entre ces murs, seul tous les jours à part les 2 heures de visite hebdomadaire et traumatisante de sa maman.

Je sais, je sais, je sais qu'il ne faut pas avoir de "préferé", qu'il ne faut pas créer de relation spéciale avec l'un d'eux, car finalement, même si je repars en pleurs chaque midi, ce sont eux qui restent seuls et qui souffriront le plus de l'absence. Mais voilà, je n'y arrive pas, et comme en amitié ou en amour où on peut avoir une attirance réciproque pour quelqu'un, une complicité particulière, celà se passe aussi avec les enfants. orphelinat-SL-0403.JPGDesnouan est à l'orphelinat depuis qu'il a un mois, depuis presque deux ans donc. Lui non plus, ses parents n'ont rien signé qui lui permettrait d'être adopté, après quelques mois passés ici, quand il avait environ 6 mois, ses parents l'ont repris, puis remis au bout de quelques semaines. C'est un des plus calmes, pas de ceux qui pleurent quand on arrive pour qu'on s'occupe d'eux. En général, il ramasse une balle et joue dans son coin gentilment. Jusqu'à ce que je commence à m'occuper de lui, dès le 2ème jour en fait. Dès lors, chaque matin, il me laisse une petite heure m'occuper d'autres enfants, puis décide que c'est son tour et vient vers moi. Alors je le prends dans mes bras, et ne peux plus le lacher car il pleure à vous en déchirer le coeur dès que je tente de le poser. Au début il accepte de partager, donc je m'assied par terre et en prend sur chaque genou, un dans chaque bras. orphelinat-SL-0409.JPGPetit à petit la relation devient de plus en plus exclusive, quand je prends un autre enfant, je dois le rassurer, le serrer et lui parler gentilment à l'oreille, comme pour lui dire que je ne vais pas le laisser. Puis les derniers jours, celà ne suffit plus, si un autre s'approche de moi, il se met à pleurer des hurlements comme pour marquer son territoire, peur que quelqu'un lui prenne un peu de ce que je lui donne. Caprice ou réel traumatisme de l'abandon, et besoin viscéral qu'on s'occupe de lui? Je ne sais pas, mais je ne suis pas là pour faire son éducation, et je ne peux pas supporter de l'entendre pleurer. Alors je craque, je reste avec lui, et lui orphelinat-SL-0421.JPGchante "Hey Jude" des Beattles dans le creux de l'oreille, je ne sais pas pourquoi celle-là m'est venue, mais elle le calme tout de suite. Pendant deux semaines, chaque matin, je l'ai gardé dans mes bras plus de 4 heures, et j'aurai fait nimporte quoi pour voir son sourire, pour prendre sa tristesse. Mais voilà, encore un départ, et une dure séparation. J'aimerai que des dizaines de volontaires viennent ici et dans les autres orphelinats, en permanence, et donnent à tour de rôle un peu d'affection à ces enfants, leur donnent l'impression d'exister. Et depuis, chaque jour, je pense à Desnouan, je me chante Hey Jude à moi même, et je lui envoie par l'esprit tout l'amour que je peux.

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S
Bonjour, je suis très touchée par ton article...<br /> J'envisage de partir pour quelques mois au Sri Lanka pour y effectuer une mission humanitaire dans un orphelinat. Peux tu me dire si tu es partie avec un organisme qui t'as mis en relation avec cet<br /> orphelinat ?<br /> Aurais-tu quelques conseils ??<br /> Tous tes renseignements seront les bienvenus.<br /> Merci par avance.
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M
Cet article là me serre le coeur, mais que j'aime ta sensibilité , ta spontanéïté et ce grand bol d'amour toujours prêt à déborder que tu portes sans précaution !!
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