expérience chamanique

Publié le par levoyagedelu

En arrivant au Perou, avant d'aller visiter la terre des Incas j'avais d'abord envie d'aller rencontrer celle des Indiens, eux qui voient la terre, les animaux, les hommes comme partie d'une entité entière, éveillés sur une conscience plus grande qui nous relie tous. J'avais rendez-vous dans le nord du Perou, à Tarapoto, avec Winston, un chaman qui m'avait été recommandé. Aujourd'hui Chaman est un nom à la mode, et qui rime souvent avec Ayahuasca, une décoction de plantes effectivement utilisée par les guérisseurs, qui provoque un état de conscience modifiée et qu'ils utilisent pour communiquer avec les esprits. Au Perou, des scéances de découverte de l'ayahuasca sont proposées par les tours opérateurs, et nombreux sont ceux que j'ai croisés qui en m'entendant parler de Chaman écarquillaient les yeux tout excités en demandant si j'avais pris de l'Ayahuasca. C'est dommage de réduire l'activité de ces guérisseurs à un trip hallucinogène, et idiot de croire que cette plante maitresse va réveler ses secrets en une seule utilisation.

Je n'avais rien de précis à soigner et j'y allais en toute humilité pour essayer d'en savoir plus. J'avais prévu de faire une "diète de plante" de 5 jours, ce qui signifiait pour moi se nourrir de plantes données par le Chaman, et qui avait pour but de purifier le corps, de le débarasser des impuretés accumulées. J'y voyais une dimension spirituelle puisqu'ainsi mon esprit pourrait vivre dans une "enveloppe" plus propre.

J'attéris tout d'abord à Lima vers 23h et ma correspondance est à 11h le lendemain, première nuit péruvienne donc par terre à l'aéroport. A Tarapoto, je rencontre la famille de Winston qui me dit qu'on part à 3h du matin, et de ne pas me charger en trousse de toilette car tousDSCN8151.JPG ces produits sont interdits pendant la diète: pas de savon, shampoing, dentifrice, et pas de produit contre les moustiques. 

Deuxième courte nuit, et à 3h une voiture vient me chercher. On roule pendant une heure et demi sur une piste défoncée, la saison des pluies touche à sa fin et la montagne s'est effondrée en plusieurs endroits. Arrivés dans un petit village, on monte dans une barque pour une heure avant d'en descendre au milieu de nulle part pour une demi heure de marche dans la jungle.

 

Le centre est magnifique, PEROU---Tarapoto-1060.JPGquelques huttes construites au milieu de la selva, la jungle, chacune suffisamment eloignée des autres pour ne pas se rencontrer (parce que j'apprends alors que je ne dois pas parler pendant la semaine), mais toutes proches de la magnifique rivière dans laquelle je peux aller me baigner et surtout me laver. Je m'installe dans ma hutte, confort 3 étoiles avec hamac fourni.

PEROU---Tarapoto-1059.JPG

 

 

 

 

Malgrè la fatigue, je trouve ça très drôle, et suis ravie de vivre l'expérience. Tout de suite on me fait boire la plante de tabac. Elle a pour but de fortifier et purifier le corps et de renforcer le travail des autres plantes. Et pour effet immédiat de faire vomir.

Winston vient ensuite me voir pour comprendre ce que j'attends de ma semaine. J'en suis a mon premier jour d'espagnol, donc je m'exprime comme je peux, je mime. Je comprends quand même que ce n'est pas qu'une diète physique, son travail étant de soigner les maladies également psychologiques, et que la diète est utile parce qu'elle permet le travail de la plante. Dans mon cas, comme il ne voit rien de spécial, il va me donner une plante qui reconnecte l'esprit avec la mémoire affective et décharge des peurs. Il m'explique qu'on a tous en nous des résidus d'émotions passées qui, même inconscientes, affectent notre énergie, ou notre aura, et la plante va les faire ressortir afin qu'elles disparaissent. Je trouve ça très interessant, et suis toujours impatiente de l'expérience, même lorsqu'il me dit de ne pas m'inquiéter si je pleure, c'est le travail de la plante.

JPEROU---Tarapoto-1100.JPGe m'installe donc dans mon hamac et Segundo, qui est comme le bras droit de Winston m'apporte ma plante, un breuvage marron dans une grande bouteille de coca cola, je dois boire une tasse avant chaque repas. En ouvrant la bouteille je suis prise de nausées, l'odeur est horrible, la seule que je connaisse qui s'en rapproche est celle d'un égout. Le goût n'est pas meilleur. En me bouchant le nez et en cul-sec j'avale ma ration puis découvre mon petit déjeuner: une pomme de terre, une carotte, un morceau de betterave cuites à l'eau, sans sel. Ce sera mon meilleur repas, puisque, la plante devant travailler librement, je n'aurai droit qu'à des légumes non assaisonnés ou à un espèce de mauvais porridge. J'exécute le rituel pour mes trois repas de la journée, et suis tellement fatiguée que je passe la journée dans le hamac à dormir. La cérémonie d'Ayahuasca a lieu ce soir là. Il y a trois autres français qui séjournent ici. Tous assis en cercle dans le noir, nous buvons chacun notre tour la plante. Une première demi heure où il ne se passe pas grand chose, je me sens détendue. Puis Winston se met à chanter, et s'accompagne à l'armonica; En tout celà dure presque 4 heures, que je n'ai pas vues passer. Je n'ai pas eu de visions, mais un sentiment de relaxation intense, et l'impression de sentir mon corps flotter, voler au rythme de la voix de Winston.

Le lendemain, je me réveille d'assez mauvaise humeur, j'essaie de passer le temps alors que chaque minute me fait l'impression d'une éternité, et je me sens très triste, de plus en plus triste. La journée se passe de pire en pire, une partie de mon cerveau a des pensées très sombres, appelle ma maman en pleurant, tandis que l'autre partie regarde la première en se demandant ce qu'il se passe. Je sais qu'on a pas le droit de parler mais quand j'apperçois un de mes collègues je lui coure après et le force à me parler quelques minutes. Il doit voir ma détresse et me dit "ca fait du bien de pleurer parfois". J'ai envie de le tuer sur place.

Le soir, j'essaie d'expliquer au gentil Segundo qui me tapote la tête en signe de pitié chaque fois qu'il me croise que je ne vais pas tenir et que je ne veux pas rester. 

Le 3ème matin, Segundo arrive vers 7h et me donne une nouvelle plante, censée me faire arrêter de pleurer. Une plante B pour annuler les effets de la plante A, je me dis que je ferai mieux d'arrêter la première, mais je prends sur moi et je bois. Il m'avait prévenue, mais je n'aurai pas pu imaginer l'effet de ce truc, je me plie en deux de douleur, j'ai l'impression d'avoir bu de l'arsenic, une chose pousse dans mon ventre et me tord les boyaux. Je me relève après 5 minutes, croise le regard compatissant de Segundo qui ne peut s'empêcher de rire un peu, j'ai la langue pendante, j'hallète.. Un instant je me suis demandé s'il ne m'avait PEROU---Tarapoto-1084.JPGpas empoisonnée et je me vois abandonnée là, mourrante, encerclée d'indiens en transe. Mais l'effet passe après une dizaine de minutes. Celà a l'air efficace car ce jour là en effet je ne pleure pas ,mais je suis très très en colère et passe la journée à me demander ce que je fais dans une cabane dans les bois sans parler, sans manger, sans me laver, sans rien faire d'autre qu'être déprimée. En même temps, toujours avec la même impression de schizophrénie, je ne comprends pas mes réactions, ce n'est pas la première fois que je suis seule, je ne m'ennuie jamais, je pourrai lire, le cadre est splendide, je ne me reconnais pas. Je tue le temps comme je peux, et passe presque toute la journée à chasser les papillons avec mon appareil photo et à parler avec des grenouilles étranges.grenouille.jpg Au "diner" j'apprends que Winston est parti pour plusieurs jours à Tarapoto, je ne peux donc pas lui demander son aide. La nuit qui suit est un cauchemar confère au fait que je suis sans anti moustique dans la jungle, et que je fais du yoga pieds nus au bord de la rivière. DSCN8124.JPGJ'ai compté, plus de 900 piqures sur les pieds et les bras, je finis par croire que j'ai attrapé la petite vérole. Désolée pour la photo de pied, je jure que la réalité est environ 50 fois pire.


4ème et avant dernier jour. Aujourd'hui je n'ai pas droit au poison guérisseur. Alors je pleure. Comme un enfant qui fait un caprice, je pourrai me rouler par terre et hurler de fureur. Je me sens prisonnière, j'étouffe. C'est sur que je n'avais jamais libéré des émotions ainsi, c'est comme si des torrents de colère et de tristesse jaillissaient de moi, inconnus mais extrêmement violents. J'essaie d'élaborer un plan pour m'enfuir, mais je ne trouve pas le chemin par lequel nous sommes arrivés, alors je tente une rebellion et dis à Segundo que je ne veux pas rester ici pour les 2 jours de post diète (après les 5 jours de plante, je suis censée rester 2 jours de plus en "repos").

Le 5ème et dernier matin je passe la matinée après la plante et la pomme de terre à essayer de me réjouir car c'est presque la fin, mais à midi, c'est plus fort que moi, je ne peux pas, et j'abandonne. Je dis à mon ami Segundo que je ne prendrai pas sa plante, ni à midi ni ce soir. Je dois vraiment avoir l'air mal car il ne négocie même pas, il me sourit, dit d'accord et prends mes affaires. Je quitte ma hutte pour un endroit plus fermé, plus construit et je m'installe dans une petite case à côté de lui et de sa famille. Puis il m'apporte mon premier repas post diète, une salade de tomate avec de l'ail et du sel, je revis, à ce moment là, c'est digne d'un restaurant gastronomique.

Quasiment instantanément, j'ai l'impression de reprendre possession de mon esprit. Tout va bien, je profite d'un bain dans la rivière, je lis, je chante, je m'emerveille. Winston finira par rentrer en fin d'après midi, il avait suivi par telephone avec son "adjoint" mes péripéties et vient me réconforterPEROU---Tarapoto-1089.JPG en m'expliquant que c'est normal, c'est que la plante a bien travaillé.

Je suis rarement triste et pas souvent en colère, du moins je croyais, peut être finalement que j'avais juste toujours refoulé ces sentiments.

Le dernier jour nous avons tous le droit de parler. Comme un affamé à qui on donnerait de la nourriture, on ne s'arrête plus, nous discutons tous les quatres pendant des heures et passons une super journée dans la rivière qui me laissera du coup un dernier souvenir beaucoup plus joyeux.

Difficile même avec du recul de dire précisement si quelque chose en moi a changé, mais ça ne peut pas m'avoir fait de mal. De là à dire que je recommencerai..


Publié dans PEROU 20-03 - 17-04

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M
Bravo Lucille pour ton blog.Je le suis depuis le début et j'apprécie bcp ta prose, ta façon de "faire vivre tes aventures" à tes lecteurs. Très enrichissant. Quel bilan fais-tu de ton tdm ? As-tu<br /> déjà une idée de ce tu voudrais que soit ta vie à ton retour ? Quoique soit ta reponse, garde une place pour l'écriture : tu as un don.<br /> Bises<br /> Marc F.
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D
La petite grenouille doit surtout être navrée de voir ces "humains",<br /> heureusement qu'elle ne sait pas lire
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D
Si la grenouille bizarre parlait, mais elle n'en a pas le droit,elle non plus, et pourtant que de témoignages, elle pourrait nous apporter sur ces humains qu'elle observe.<br /> Bises
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M
Tu m'as bien fait rire, petite Luce, même si tu appelais " maman " en pleurant !!
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